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  • Ed Wige

Lecture dans le noir sur le thème de la peur à Bienne


Dans le noir pendant une heure… Voici ce qu’ont proposé quatre artistes lors d’une lecture-performance le 3 mars 2018, au café littéraire de Bienne. Iels ont exploré l’envers et l’endroit du noir à travers des textes sur le thème de la peur.

Ce quartet de voix était composé de : Sarah Benninghoff , Camille Leyvraz, Lucie Schaeren et Ed Wige ; le tout accompagné au piano par les mains magiques de Michael Scheuplein.

Extrait d'un texte rédigé par Ed Wige :

Qui a peur du grand méchant trou ?

« Docteur, j’ai tout essayé, tout ! L’hypnose, l’acupuncture, la kinésithérapie, le magnétisme, l’art-thérapie, l’alimentation dissociée, associée ou supprimée, et même la science chrétienne ou l’urinothérapie. Mais là, ça devient une question de survie, Docteur – aidez-moi !

« Qu’est-ce qui me ronge ? Je n’en sais trop rien… C’est qu’un trou, ça ne sert à rien. Un cercle passe encore, même s’il reste terriblement ennuyeux, pareil en tout point depuis son milieu. Sans accroche, sans fin, on se morfond à devoir le regarder. Il n’atteindra jamais l’élégance piquante d’un triangle ou le charisme entêté d’un carré. Mais avec le trou, on atteint carrément le fond. Puits sans extrémité, sans âme, sans utilité, le trou n’attend qu’une chose, c’est de happer ce qui veut bien le traverser. Le comble de la futilité. Le trou noir. Le trou de balle. Boire comme un trou. Sortir par les trous de nez. Rien de bien glorieux n’est associé au trou…

« Oui, ça date depuis toujours, aux dires de mes parents. Ils prennent d’ailleurs grand plaisir à raconter mes aventures trouesques à chaque occasion qui se présente. « Dès qu’il a pu marcher, il bouchait tous les trous de fromage systématiquement». « Un soir, il a failli étouffer sa petite sœur en lui enfonçant des boules quies dans les trous de nez. » « Quand il a entendu le poinçonneur de Lilas, il a fait une crise de nerfs ». D’aussi loin que je me souvienne, Docteur, le trou me hante, m’épouvante, me terrorise.

« Ce que je ressens ? Cela dépend du nombre, de la taille et du contexte d’apparition des trous. Souvent, cela commence par des démangeaisons. Différentes endroits de mon corps deviennent écarlates, et c’est comme si des vers rampaient sous ma peau, comme si des milliers d’insectes y grouillaient dessous. A ce moment, le dégoût du trou s’empare de mon abdomen, par vagues successives, et la nausée s’installe, suivie de très près par des vomissements. La crise dure plus ou moins longtemps, jusqu’à la disparition du trou et de tout résidu d’aliments contenus dans mes boyaux.

« En grandissant, c’est devenu de plus en plus handicapant. Rendez-vous compte – vous avez une femme qui vous aime et que vous aimez de tout votre cœur aussi. Mais voilà, elle a une cavité qu’elle s’attend que vous combliez, idéalement avec amour. Et l’envie y est, ce n’est pas ça le problème. Mais que vous le vouliez ou non, que vous le voyiez ou le deviniez seulement, il s’agit au bout du compte d’un trou – aussi charmant soit-il. Alors, je suis perdu Docteur, complètement perdu. Perdu pour ma femme. Perdu pour les générations à venir aussi. Perdu pour l’humanité au fond. Perdu au fond du trou.

« Comment ça, c’est déjà fini pour la séance d’aujourd’hui? Et ça fera 300 francs ­– un prix d’ami, vous dites. Bon soit, mais combien de temps pour guérir de ce mal qui me ronge depuis si longtemps, et qui met à mal un amour profond. Des années, de nombreuses années, vous dites ? Il faut que je sois patient - oui, j’en conviens. Je ferai tout TOUT pour guérir de ce mal pernicieux et aussi longtemps que nécessaire. Comment, vous dites ? Mais d’ici là, vous me conseillez de laisser quelques libertés à ma femme, car pendant que je comble le trou de mon esprit, elle peut bien faire plaisir au sien. J’ai peur de mal comprendre Docteur… »


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